« Transmettre et réparer » il s’agit là de deux valeurs portées par GEBULL et qui nous semblent inhérentes au logiciel libre.
Low-Tech et Repair Café
En fin d’année dernière GEBULL participait à une projection-débat du film Low-Tech de Adrien Bellay. Ce fut l’occasion pour l’association de transmettre au public notre lutte contre l’obsolescence programmée et notre enthousiasme pour les technologies émancipatrices dans la sphère numérique. En effet, les logiciels libres permettent de continuer à utiliser efficacement des ordinateurs sur lesquels il n’est plus possible d’installer un Windows récent (car le système de Microsoft refuse de s’installer sur du matériel jugé trop vieux).
Dans ce cas là c’est facile, il s’agit de « réparer » quelque chose, puisque ce n’est pas vraiment cassé. En pratique il suffit de s’adresser à des humains de bonne foi et d’arrêter d’accorder votre attention à ceux qui cherchent à vous piéger (venez-donc essayer GNU+Linux pour vous libérer d’une dépendance à un unique fournisseur, étranger : Microsoft).
Mais il arrive qu’on se retrouve avec du matériel vraiment défectueux. C’est le cas du narrateur au début du film Low-Tech. Le film s’ouvre en effet sur la découverte d’un Repair Café sur Nantes. Un Repair Café, c’est un évènement où chacun peut venir avec un engin en panne (imprimante, aspirateur, machine à coudre…) et apprendre à le réparer soi-même avec les conseils et l’équipement de réparateurs aguerris. L’association RepairCafe.org, qui aide à l’organisation de ces évènements, a été créée en 2009 aux Pays-Bas et dénombre 15 ans plus tard (en 2024) plus de 3000 Repair Cafés enregistrés dans le monde, impliquant 45 000 bénévoles pour plus de 50 000 objets réparés chaque mois. Et encore, ça c’est sans compter les évènements inspirés de leurs démarches mais non enregistrés officiellement, comme ceux que GEBULL réalise à La Gob.
Pour la projection du film Low-Tech, nous nous étions justement organisés pour pouvoir annoncer la tenue d’un « Café réparation » à La Gob le samedi suivant la projection du film. L’annonce fut donc passée auprès de quelques mailling-lists et des 75 personnes présentes dans le public ce soir là au cinéma. Une dizaine d’objets furent apportés à la séance en question, pour un taux de réparation de 50%.
De l’obsolescence programmée, on en rencontre sous différentes formes et chez tous les fabricants de matériel. Un aspirateur de table Thomson par exemple, qui cesse de fonctionner car l’un des balais (ou charbons) de son moteur électrique est usé… mais pas moyen de changer la pièce car impossible d’ouvrir le boîtier du moteur sans le détruire (car scellé). C’est toujours révoltant de tomber sur un cas comme ça.
L’analyseur de fumée
Heureusement, ce n’est pas cette histoire que nous avons choisie de vous raconter aujourd’hui, mais celle, bien plus intéressante, d’un analyseur professionnel de fumées, apporté un peu plus tard ce samedi là.
L’engin sert à capter et analyser des fumées de combustion de poêle à bois ou de chaudière, et permet de déterminer la part de gaz carboniques (CO2, CO) pour vérifier la qualité de la combustion. Il s’agit d’un engin de pointe, acheté près de 1000€ d’occasion par l’artisan venu nous voir. L’engin a très bien fonctionné les premières années, mais récemment il n’a plus été capable de charger sa batterie. C’est en tout cas le diagnostic auquel est arrivé le support technique du constructeur de la sonde après une heure passée avec l’artisan au téléphone.
L’appareil n’étant plus sous garantie, un membre de GEBULL accepte de se lancer dans l’ouverture du boîtier. Une fois la carte électronique découverte, on y trouve un circuit d’alimentation relativement simple et classique et un circuit portant la logique métier de l’appareil bien plus complexe. Vu les symptômes, la panne pourrait se situer dans la première partie, ce qui augmenterait nos chances de réussite. En pratique c’est souvent dans cette partie « alimentation » que se situe la panne, même pour les ordinateurs, car ce circuit est celui qui sert le plus, il fonctionne en permanence, dès qu’on appuie sur le bouton de démarrage.
Dans un premier temps, les cellules de la batterie lithium sont débranchées (ou dessoudées) et testées. Cela permet de travailler sans risque de choc électrique sur le reste du circuit et de vérifier qu’elles sont encore fonctionnelles. Dans notre cas, on s’en doutait, vu que l’appareil fonctionne encore ! Son seul problème c’est qu’il ne se charge plus. Les cellules, ce sont généralement des cylindres ressemblant à de grosses piles style « AAA » comme on trouve en supermarché, excepté qu’elles sont au Lithium et font 3,7v et pas 1,5v.
Le reste du circuit d’alimentation est inspecté visuellement, puis au voltmètre pour vérifier la tension obtenue derrière chaque composant. D’autres composants nécessitent d’être dessoudés pour pouvoir être testés, comme les condensateurs. On ne se fait pas prier car c’est souvent un condensateur qui cause les pannes. Les condensateurs stockent de l’énergie et c’est un domaine qui pose visiblement problème à l’humanité : nos batteries plomb ont de mauvais rendements, les piles ont de faibles taux de densité d’énergie et les batteries lithium des durées de vie assez courtes et des risques d’explosion… et les condensateurs à électrolyte liquide eux ont la mauvaise tendance à gonfler, fuir ou exploser et présentent une durée de vie plus courte que les autres composants.
Notre adhérent décide de changer les deux principaux condensateurs du circuit d’alimentation, bien que les précédents semblent bon… il faut bien tenter quelque chose et le reste du circuit devient trop complexe pour être compris sans le schéma logique du constructeur (or nous ne le trouvons pas sur son site).
Mais déjà la magie opère et une fois tout bien ressoudé le problème est résolu et la batterie se charge à nouveau ! Houra. Notre adhérent remonte et referme le boîtier, un grand sourire aux lèvres. Toutefois, l’ascenseur émotionnel retombe rapidement, car une fois l’engin refermé, il ne se charge plus !
Panne intermittente
C’est pour ça qu’on a choisi de raconter cette histoire, parce qu’à un moment on s’est quand même posé bien des questions…
Notre adhérent reprend son courage et ses tournevis à deux mains et re-démonte l’engin. Il ressoude les condensateurs d’origine et comme par magie, la batterie se charge à nouveau. Le phénomène n’est pas vraiment élucidé, mais la journée touche à sa fin et tout le monde est d’avis que tant que la batterie se charge, la partie est gagnée.
On referme le boîtier, on s’apprête à remballer, mais… rebelotte, une fois le boîtier fermé, la batterie ne se charge plus ! Ça nous est déjà arrivé, c’est toujours assez comique et généralement c’est parce qu’on a pincé un fil en refermant le boîtier. Mais là aucun fil ne dépasse du circuit électronique de la sonde.
Alors arrivé là, pour éviter de basculer dans l’irrationnel, on s’accroche à la méthode scientifique. On discute, on repose tous les éléments à plat et dans l’ordre, on formule des hypothèses et on s’applique à les vérifier.
Il en ressort que quand le circuit est chaud (parce qu’on vient d’y pratiquer une soudure) la batterie se charge, et sinon non. L’adhérent aux commandes pense même avoir identifié quel composant (le suivant dans le circuit) adopterait ce comportement. Il s’agit d’un circuit intégré plus petit que l’ongle du petit doigt, 5mm² et 29 connecteurs, monté en surface. Si on lui applique de l’air chaud (autour de 80°C) le témoins de charge de la batterie s’allume effectivement et si on le laisse refroidir (le temps de refermer le boîtier de l’appareil par exemple) la batterie ne se charge plus.
Et ça peut s’expliquer, en chauffant le métal se dilate (cuivre des circuits, étain des soudures ?) et rétablit probablement le contact qui se coupe à nouveau lorsque le circuit refroidit. Citons aussi l’exemple des cartes graphiques réparées par un passage maîtrisé au four, ou à l’inverse celui des disques durs à plateau débloqués par un passage bien emballé au congélateur.
C’est déjà pas mal pour une première approche : la panne est identifiée et une solution de contournement existe, l’artisan pourra ouvrir son boîtier une fois par mois, dégainer un sèche cheveux et recharger sa batterie.
Toutefois, ça reste du bricolage et les composants électroniques n’aiment pas la chaleur. Normalement ils fonctionnent mieux à froid, or chauffer toute la carte électronique au sèche cheveux est dangereux et risque d’endommager d’autres composants à force (comme les condensateurs situés juste à côté par exemple). De plus, le petit circuit intégré qui ne fonctionne plus à température ambiante ne coûte pas très cher (de l’ordre d’1€) et notre adhérent pense réussir à souder les 29 connecteurs d’un coup avec son souffleur à air chaud. Alors il est convenu de se retrouver le jeudi soir suivant la réception des pièces de rechange, pour continuer la réparation lors de la séance hebdomadaire habituelle de GEBULL à La Gob (d’ailleurs n’hésitez pas à nous y rendre visite tous les jeudis soir à partir de 20h30 !).
Changement de pièce
Ce soir là tout le matériel nécessaire est réuni à GEBULL : fer à souder, fer à déssouder aspirant, souffleur à air chaud, lampe, pinces, tournevis multi-embouts et multimètre.
L’opération est délicate et sera chaque fois ponctuée d’une volute de fumée lorsque l’appareil est rebranché, signalant un court-circuit quelque part. On ne gagne pas à tous les coups. Ce soir là, les 5 pièces de rechange finissent grillées, en espérant que rien d’autre ne soit endommagé dans l’appareil. Pas facile d’annoncer à l’artisan qu’on a peut-être achevé sa machine finalement…
La semaine suivante notre adhérent décide de changer de stratégie : le problème de l’artisan c’est de charger sa batterie et il est prêt à ouvrir son boîtier, alors on peut lui fournir un chargeur externe de batterie lithium. En pratique, on trouve ce type de circuit dans tout ce qui contient une batterie lithium (téléphone portable, drone, tracteur jouet autoporté…) et on peut se les procurer à moins d’1€ pièce sur les boutiques d’électronique. Alors on en commande un lot de 10 et on réfléchit à comment rendre ça pratique à l’usage.
Greffe de circuit imprimé
Un avantage du délai de livraison des commandes en ligne, c’est qu’on a bien le temps de réfléchir à comment on va s’y prendre une fois qu’on aura reçu la pièce. Et là en l’occurrence une idée brillante émerge… il y a en effet suffisamment de place dans le boîtier pour y coller le nouveau circuit indépendant de charge batterie sur un ruban adhésif double face posé sur la carte électronique d’origine. Ce circuit a besoin d’une alimentation de 5v en amont ? Qu’à cela ne tienne, on peut se brancher au bornier de la prise USB exposée sur la tranche du boîtier1. En aval, il suffit de raccorder le circuit à la batterie elle même. Ce qui compte, c’est de se procurer un circuit de chargement du bon voltage pour la batterie, en fonction du branchement des cellules dans la batterie. Soit on reste à 3,7v avec un branchement des cellules en parallèle, soit on grimpe en tension si les cellules (ou des rangées de cellules) sont soudées en séries.
Puisque tout marche lors des premiers essais ce soir là, on pousse le vice jusqu’à brancher le témoin de charge original de l’appareil au nouveau circuit de charge batterie. Tout le monde a retrouvé le sourire, mais on se souviendra longtemps de cette réparation qui nous a tenus en haleine pendant plusieurs semaines.
- En pratique, nombre de gadgets rechargeables sont équipés d’un port USB qui ne sert qu’à les alimenter électriquement pour les recharger. Si ce port micro-USB s’arrache, il est bien souvent facile à réparer, soit en le ressoudant directement (mais ça demande de la concentration et ce n’est pas très solide puisque ça s’est déjà arraché une première fois), soit en le remplaçant par un port USB-C monté sur fils, qu’on laissera dépasser hors du boîtier (ou qu’on pourra coller au boîtier) pour éviter qu’il ne s’arrache à nouveau.
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